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La France triplement sanctionnée pour une procédure interminable http://www.lextimes.fr/4.aspx?sr=9035 #LIQUIDATION #JUDICIAIRE


Voici un arrêt(1) où la France, pour parler familièrement, en prend pour son grade. Le pays des droits de l'homme y est reconnu coupable d'avoir violé pas moins de trois dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme, selon la Cour chargée de la faire respecter.

L'affaire a effectivement de quoi surprendre: il s'agit d'une liquidation judiciaire d'exploitation agricole qui s'apprête tout juste à se finir, alors qu'elle avait débuté... en 1990.

Le requérant, Abel Tetu, a saisi la CEDH en 2009, s'estimant victime de trois violations. Selon lui, la procédure n'avait pas respecté le délai raisonnable (art. 6 § 1 de la Convention), lui avait dénié son droit au respect de ses biens (art. 1 du Protocole no 1), sans lui assurer un recours effectif (art. 13). Il a gagné sur les trois tableaux.

Le délai raisonnable

La Convention garantit donc que "toute personne [ait] droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable (...)"

Il va de soi qu'une durée de 21 ans pour une liquidation judiciaire n'apparaît pas à première vue comme normale.

Pourquoi un tel temps ?

Le gouvernement français affirme que la responsabilité en impute en grande partie au requérant lui-même. Il se serait ainsi abstenu "de toute diligence lors de la période d’observation [...] en se désintéressant de la procédure de liquidation judiciaire". Le liquidateur lui aurait proposé la vente amiable de ses biens, mais M. Tetu n'aurait pas donné suite à cette proposition. Il ne s'était par ailleurs pas présenté au tribunal le 13 juin 1990 alors qu'il y avait été convoqué. Ni le 19 juillet de la même année à un rendez-vous fixé par le représentant des créanciers. Ni à une audience du tribunal de grande instance en octobre de la même année.

Cela ne suffit pas à convaincre la Cour, qui estime que "le gouvernement ne démontre pas en quoi le requérant aurait, par son comportement, retardé la procédure entre le 11 octobre 1990, date du prononcé de la liquidation judiciaire, et aujourd’hui". Selon l'arrêt en effet, "le gouvernement ne donne pas d’explication sur les périodes d’inactivité judiciaire".

Et de conclure que la violation de l'article 6 § 1 est caractérisée.

La privation des biens

La Convention garantit donc également un droit au respect des biens, selon lequel "nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international".

Durant toute la procédure de liquidation judiciaire, le requérant n'a pu ni administrer ses biens ni en disposer. Ceci en application de l'article L. 641-9 du code de commerce qui dispose que "le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée".

Y a-t-il eu abus ?

Le gouvernement français estime que non, car la liquidation judiciaire poursuivait un but légitime, qui était de garantir aux créanciers le recouvrement de leurs créances.

Mais la Cour ayant déduit que le délai n'était pas raisonnable, elle considère par là même que la France ne peut invoquer la procédure comme justification. Selon l'arrêt, "la durée [...] a [...] entraîné la rupture de l’équilibre à ménager entre l’intérêt général au paiement des créanciers de la faillite et l’intérêt individuel du requérant au respect de ses biens".

Et de conclure que la violation de l'article 1 du protocole n°1 est caractérisée.

Le manque de recours effectif

Il manquait peut-être une cerise sur le gâteau, la voici.

L'article L. 641-9 du code de commerce, précédemment cité, dispose également que "les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur".

M. Tetu, débiteur, n'a donc pas pu faire devant les tribunaux français une action en justice pour faire reconnaître la longueur excessive des démarches. Il s'en plaint donc aujourd'hui devant la juridiction strasbourgeoise.

Pour se défendre, le gouvernement français affirme que le requérant n'est pas définitivement privé de sa possibilité d'agir, mais que celle-ci est suspendu provisoirement, le temps de la procédure collective.

La CEDH n'est à nouveau pas convaincue. Elle relève que "selon sa jurisprudence constante, l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable". Or, M. Tetu n'a pas pu exercer ce recours.

Et de trois donc, la violation de l'article 13 est caractérisée.

Aujourd'hui, où en est-on ? En juin dernier, le liquidateur a déposé une requête en clôture de procédure pour extinction du passif. En juillet, le tribunal de commerce a indiqué qu’il statuerait ce mois-ci sur cette requête. Peut-être le bout d'un long, très long chemin entamé il y a 21 ans, l'année où l'Irak avait envahi le Koweït, alors que François Mitterrand était encore Président de la République et Michel Rocard Premier ministre...
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(1) CEDH, 22 sept. 2011, no 60983/09, Tetu c/ France.

Tag(s) : #LIQUIDATION, #JUDICIAIRE

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