LE CACHOT
LE CACHOT
La lourde porte en métal se referme derrière moi. Les larmes que j’essayais vainement de retenir jaillissent et j’éclate en sanglots.
Je porte encore une fois la main à mon cou pour chercher le pendentif offert à Noël par mon petit garçon. C’était il y a trois semaines environ.
Avant de pénétrer dans la cellule je suis fouillée, déshabillée, privée de mes chaussures et du seul bijou que je portais sur l’insistance de mon fils ce matin là : "Maman met mon cadeau".
C’est à cet instant-là que j’ai pris la décision de laisser ce témoignage aux pauvres diables honnêtes qui décident de devenir entrepreneurs. Je me suis dit que je ne pourrai jamais survivre à cette honte. Quel exemple pourrais- je donc laisser à mon fils ? Moi, éduquée dans la rigidité morale la plus absolue et dans l’observation des dix commandements de la foi chrétienne…me voilà enfermée dans un cachot.
L’ enquêteur chargé de mon interrogatoire me reprochait quelques instants auparavant de ne pas comprendre qu’il n’y avait de la place que pour des loups dans le monde des affaires……….
On le sait, c’est une phrase récurrente, mais elle ne prend un sens que lorsque l’on s’est fait dévoré.
Je regarde autour de moi. C’est un couloir d’un mètre sur trois environ. Un sommier en béton fait office de lit. Quelques couvertures rêches sont posées dessus. Je ne porte rien sous mon tailleur noir. J’ai froid mais ces couvertures me répugnent. Je me suis habillée en vitesse ce matin. J’ai déposé mon fils à l’école et je me suis rendue à une convocation fixée à 8h30, qui pour moi ne devait durer qu’une heure ou deux. Mon avocat m’avait avertie : « c’est la procédure, ne vous inquiétez pas ! »……Pourquoi aurais je du m' inquiéter ? J’ai commis des erreurs mais je ne suis pas une criminelle, me suis-je dis, et la justice triomphe toujours…….
Justice? ou légalité? J'allais très vite comprendre la différence.
Je m’assieds sur ce lit de fortune et j'aperçois au pied de celui-ci des toilettes turques d’une propreté douteuse. Mais je me dis qu'elles pourront être utiles. Je me vois y fracasser mon crâne. Je secoue la tête, porte à nouveau la main à mon cou et je pleure de plus belle. Je sais que je n’en ferai rien et que ces idées suicidaires sont provoquées par le choc même de me retrouver enfermée contre ma volonté et de façon toute à fait inattendue.
Je comprends alors pourquoi j’ai été dépouillée de tout. Je ne dois pas être la première à avoir pensé à me suicider.
Mais je décide aussi que plus jamais l’on m’enfermera ; s’il devait y avoir une autre garde à vue après celle-ci je me dis que passerai à l’acte.......des bribes de phrases s'affichent dans mon cerveau : "mourir par rébellion", "mourir par vengeance", ou "mourir pour les autres après moi"..........mais il y a mon fils.
Je suis décidée à me battre, à dénoncer ce système et les vrais coupables, c est à dire tous ceux qui se sont enrichis en « toute légalité » et complète "injustice", dans l’affaire qui me porte aujourd’hui dans une gendarmerie. Je veux réussir pour que mon fils n’ai jamais à douter de la moralité de sa mère, et pour qu’il n’ait jamais à avoir honte de moi comme j'ai honte en cem moment de mon ingénuité, de ma stupidité, de ma faiblesse. Je sais que c’est lui, du haut de ses trois ans , qui est à l’origine de ma colère, de ma rébellion et de l’envie de me battre pour garder ma dignité, mon honneur.
Mon avocat m’a bien précisé que je suis "présumée innocente tant que la preuve de ma culpabilité n’a pas été établie", mais alors qu’est ce que je fais ici ?
Je sais que je suis en train de vivre un épisode de ma vie que plus jamais je n’oublierai, tous les éléments d’un traumatisme sont réunis.
Un jour un ami m’a dit « dans la vie tout est relatif ».
C’est à lui que je pense en cet instant. Je me dis que ce n’est qu une « garde à vue », qu’il suffit de se faire pincer en état d'ébriété sur la route pour se retrouver dans ce même cachot……mais rien y fait, seule l’envie de mourir, de disparaitre, d’effacer toute trace de moi fraye son chemin dans mes réflexions confuses et désordonnées.
Il y a des personnes, comme moi, que l’on accuse régulièrement de ne pas vivre dans la réalité ; tout au long de mon interrogatoire je me suis demandée si la sévérité et un certain ressentiment à peine palpable de la part de mes geôliers n’étaient pas dus au fait qu’il avait à l’évidence devant eux une petite bourgeoise élevée dans un cocon affectif, économique et social. J’ai eu impression à ce moment là que je devais « payer » pour n’ avoir souffert d’aucune privation. Ils déclaraient être impartiaux et ne faire que « leur boulot », mais je n’en serais jamais convaincue.
J'étais jugée avant même qu'un procès s'intruise.
J’ai deux heures devant moi, au froid, avec très peu de lumière provenant de la lucarne opaque perchée au sommet des hauts murs ruvides et jaunâtres qui m'emprisonnent.
Alors je surmonte mon dégout et me glisse entre les couvertures qui ont du réchauffer tant d'autres avant moi. Je ferme mon esprit à d’autres pensées morbides, et j'essaie de faire taire cette petite voix intérieure qui me tient compagnie et je me décide de chercher le sommeil coûte que coûte afin de faire passer le temps plus vite.
J’entends encore l’affirmation de l’adjudant lorsque que je venais à peine de m'assoir devant lui, tôt le matin : « ne vous faites pas d’illusions, c’est la correctionnelle qui vous attend. Vous allez être jugée dans un tribunal pénal »
Je l’entends, sans comprendre, me demander si je désire voir un médecin, avertir quelqu’un………
« Vous êtes en garde à vue… » Ça veut dire quoi bon sang ? je n ai pas le temps de réagir.On prend mon sac et on fait l’examen de son contenu, on me demande de suivre un gendarme, afin de subir une fouille corporelle. J’ émerge tout doucement de mon incompréhension pour descendre directement en enfer.
Je le suis , dans cette cellule nauséabonde qui allait m’ héberger, à mon grand désarroi et désespoir, plus tard. J’ai honte. Je n ai pas pris le temps d’enfiler autre chose que mes dessous sous ma veste et ma jupe. Mon geôlier, une femme, est surpris, nous sommes en plein hiver. Elle ne sait pas que j’ai vomi violemment avant de quitter la maison. Je n ai pas dormi de la nuit et j ai remis rapidement les vêtements de la veille éparpillés dans la salle de bain. Et pourtant à ce moment-là, j'étais loin d'imaginer ce qui m'attendait. La simple idée de pénétrer pour la première fois dans une gendarmerie m'avait bouleversée.
Et encore je me dit : C’est pas vrai. C’est pas à moi que ça arrive. C’est un cauchemar , je vais me réveiller.
Mais seule l’envie d’ être digne prend le dessus et je demande légèrement ironique "si c’est comme dans les téléfilms américains et si j’ai le droit de demander la présence de mon avocat". On me répond que non, et qu il ne pourra pas me sortir de là avant la fin de la garde à vue. Alors je demande : « en d' autres mots je suis en taule ?». Un "oui " laconique tombe accompagné d’une ébauche de sourire ironique.
Il n y a rien de drôle, Je sens mon estomac se retourner et je crains de vomir à nouveau.
Je retourne dans le bureau. Humiliée et en état de détresse totale. Je tente de cacher mes sentiments. Je n’ose plus regarder en face les acteurs indifférents d’un va et vient incessant dans ce bureau pendant que je réponds aux premières questions sur mes généralités. Je lutte contre les larmes.
Je subis une longue attente ,sans que l’on s’adresse à moi, sans même être regardée, comme si je n'existais pas . En fait , je n’existe plus. Les deux gendarmes se concertent sur les problèmes informatiques liés au logiciel qu'il vont devoir utiliser pour rédiger leur compte rendu.
Mon esprit vague à nouveau ; j’ai envie de hurler, de me jeter par la fenêtre ; je calcule la distance et leur temps de réaction. Enfin je me moque de moi même : nous sommes au rez de chaussée.
On me parle. Je suis décidée à répondre calmement et clairement. Je n'ai rien à cacher. A aucun moment de ma courte carrière de néo co-gérante d’entreprise de 8 mois je n'ai commis d'actes moralement répréhensibles, et je ne pouvais donc imaginer, même de très loin, qu' un de ceux-ci puisse me mener dans ce lieu. En réalité, je comprends qu'avoir subi la domination d'un co-gérant et d'un expert-comptable véreux ( il finira plus tard en première page sur les journaux locaux pour escroquerie) est déjà une faute grave en soi.
Il n'existe pas de victime chez les entrepreneurs. Que des coupables, d'office.
J’écoute les chefs d ‘accusation
Banqueroute frauduleuse, abus de biens sociaux,escroquerie et je ne comprends pas le sens de ce que l'on me reproche. Je n'ai rien volé, je n'ai pas abusé, je n'ai jamais voulu faillir dans la reprise de l'entreprise de mon père vieille de 32 ans.
On me réitère les conditions de la garde à vue. On ironise : vous savez il y a des personnalités qui ont été aussi mises en garde à vue ; je réponds : "mais eux étaient surement coupables et surement mieux défendus" Eh oui je le sais maintenant. On ne réussi pas dans les affaires, on ne devient pas une « personnalité du monde des affaires » en ayant un passé propre.
Je proteste.
"Madame si vous êtes ici c’est que vous n êtes pas totalement innocente"
Je veux leur hurler que SI. Je suis innocente, mais je sais que cela ne ferait qu’empirer ma situation.
Je découvre alors avec douleur que l’amour, trop de reserve, le respect d’autrui et l'ingénuité m’ont menée tout droit dans les enfers. Un sentiment d’ironie m envahit une fois encore ; je sais qu’il n’y aura pas de place dans cet interrogatoire pour ce genre d’explication. "Les faits rien que les faits" n'y seront relatés. Il n’y aura pas de place pour le roman de Don Quichotte. Il a déjà été écrit et on sait comment il s’est terminé.
J'entends une voix lointaine me dire « arrêtez de vous battre contre les moulins à vents ». C’ était la voix d un vieil homme d'affaire lorsque je lui soumettais mes visions d'un entrepreneuriat noble......
Mais je suis têtue. Je vais me battre et cherche déjà le titre de mon histoire…….. « Si vous êtes honnêtes ne devenez pas entrepreneurs »…….. « la descente en enfer d’une femme-mère-entrepreneur » « manuel de survie pour entrepreneur honnête »
Elle ne sera peut être jamais publiée. Peut être je n arriverai jamais à la fin et la mort aura eu raison de moi, comme de tant d'autres avant moi. Une histoire banale qui ne fera jamais la une des médias , mais pourtant si douloureuse et commune sans doute à tant de petits entrepreneurs qui un jour ont cru pouvoir tenir leur futur en main............L'entrepreuneuriat ne tue pas , mais les charognards des procédures collectives , oui.